Un… deux… trois… quatre. Il fait le décompte de ses « pochons » comme on ferait l’inventaire d’un trésor et angoisse déjà à l’idée de manquer. Ruben – les prénoms des dealeurs et consommateurs ont été modifiés – a 40 ans, une femme, quatre enfants, un bel appartement dans le centre de Paris et une vieille addiction au cannabis. Impossible de terminer la journée sans fumer ses « deux ou trois » joints. « Déjà qu’on est enfermés, mais si, en plus, je dois me sevrer contraint et forcé, je ne sais pas ce que ça va donner », ironise-t-il.
Quand d’autres se précipitaient vers leurs maisons secondaires, à l’annonce du confinement lié à l’épidémie de Covid-19, lundi 16 mars, lui s’est hâté vers une banlieue du nord de la capitale, où son dealeur a ses quartiers. Il a acheté le double de la quantité habituelle, soit huit pochons d’herbe (environ 4 grammes chacun) et deux barrettes de résine de cannabis, pour un total de 200 euros. « C’est parti pour durer, pas sûr que ça tienne jusqu’à la fin du confinement », s’inquiète-t-il.
Le trafic de drogue n’échappe pas aux aléas de l’économie classique. Avec la crise sanitaire, ce marché souterrain qui pèse en temps normal aux alentours de 3,5 milliards d’euros par an, selon les chiffres de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), tourne au ralenti depuis dix jours. Consommateurs et dealeurs confinés, frontières fermées, approvisionnement coupé… C’est tout l’écosystème qui est frappé de plein fouet. « C’est vexant, le coronavirus a réussi, là où on a échoué ; il a gagné la bataille de la sécurité en Ile-de-France », dit amusé un policier haut gradé, spécialisé dans la lutte contre les trafics de stupéfiants.
L’ensemble de la chaîne semble grippé. « Pour l’instant, l’activité continue avec les stocks existants, mais il y a beaucoup moins de déplacements, les gens ne se rendent pas sur les points de deal », explique Virginie Lahaye, commissaire divisionnaire à la tête de la brigade des stupéfiants de Paris. Et la marchandise s’épuise petit à petit. « Les enquêtes, qui sont toujours en cours au sein de la brigade, nous permettent de savoir que là aussi c’est un secteur en crise », confirme Mme Lahaye.
Le phénomène des « mules » provisoirement endigué
La production dans l’Hexagone est très faible et les filières internationales sont quasi toutes à l’arrêt. Avec la fermeture des frontières, plus question d’organiser des « go fast », notamment depuis les Pays-Bas, un important pourvoyeur d’herbe.
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